Depuis des décennies, l’Afrique est en proie à une crise de la dette qui menace son développement économique et social. Alors que les nations du continent cherchent des solutions pour sortir de l’impasse, l’intégration des femmes dans les stratégies économiques apparaît comme une voie prometteuse.
La crise de la dette qui sévit en Afrique met en lumière la fragilité des économies du continent face aux chocs financiers mondiaux. Cependant, une solution à cette impasse pourrait résider dans un acteur trop souvent négligé : les femmes.
En effet, intégrer pleinement les femmes dans les stratégies économiques n’est pas seulement une question de justice sociale, mais une nécessité économique. Les femmes, qui représentent une part importante de la main-d’œuvre et de l’entrepreneuriat en Afrique, ont le potentiel de transformer radicalement l’approche du continent face à la dette.
Lors de la quatrième Conférence africaine sur la dette et le développement (AfCoDD IV), les experts ont mis en avant l’importance d’intégrer une perspective de genre dans les discussions sur la dette, soulignant que les femmes jouent un rôle essentiel dans l’économie africaine et doivent être au centre des politiques de développement.
Un regard féministe sur la problématique de la dette
Intégrer une perspective féministe dans l’analyse de la dette est crucial pour comprendre les inégalités de genre à la fois au niveau macroéconomique et microéconomique. Les économistes féministes critiquent la tendance des politiques économiques traditionnelles à ignorer les relations sociales complexes, en les considérant comme neutres en termes de genre. Elles soulignent que les contrats de dette sont souvent vus comme des accords financiers impersonnels, détachés des contextes sociaux et historiques.
La privatisation et la financiarisation du développement ont engendré des modèles financiers complexes, tant au niveau macroéconomique (dette) qu’au niveau microéconomique (crédit) et individuel (microcrédit). À chaque niveau, la question de l’accès au crédit est centrale. Dans les sociétés où les femmes et les filles sont structurellement marginalisées en termes d’accès au crédit pour des raisons socio-économiques variées, le microfinancement apparaît comme une solution.
Cependant, bien que ce modèle facilite l’accès des femmes au crédit, il suscite de nombreuses préoccupations et valorise l’individualisme, l’auto-assistance et la validation par le marché, ce qui conduit à ce que les rares actifs possédés par les femmes soient souvent mis en gage pour obtenir ces lignes de crédit.
Le passage à des économies de marché dans les pays en développement a accru la dépendance à l’argent et au crédit. Les féministes soutiennent que la dette est devenue un mécanisme de coercition, poussant les individus à accepter des conditions de travail précaires sous la contrainte d’obligations financières et, qu’aujourd’hui, la dette fonctionne comme un moyen de soumission à des conditions de travail précarisées et violentes, encouragée moralement comme une économie de l’obéissance.
Le poids économique et social des femmes en Afrique
L’Afrique affiche le niveau d’emploi informel le plus élevé au monde, avec environ 86 % de l’emploi total étant informel. Dans ce contexte, les femmes sont particulièrement touchées, car elles occupent souvent des emplois précaires, peu rémunérés et sans protection sociale. La privatisation et la financiarisation du développement ont donné naissance à des modèles financiers complexes, tels que la dette au niveau macro, le crédit au niveau micro et le microcrédit au niveau individuel. Chacun de ces niveaux repose sur l’idée centrale de l’accès au crédit.
Les femmes et les filles, qui sont structurellement marginalisées et rencontrent des obstacles socio-économiques pour accéder au crédit, se retrouvent souvent emprisonnées dans des modèles économiques qui les exploitent plutôt que de les autonomiser. Le microcrédit, bien qu’ayant été présenté comme une solution pour l’émancipation économique des femmes, ne change pas les structures sous-jacentes d’inégalité et de précarité. Il renforce, au contraire, les discours néolibéraux qui valorisent l’individualisme et les politiques d’auto-assistance, piégeant les rares actifs possédés par les femmes en tant que garanties pour accéder à ces lignes de crédit.
L’intégration économique des femmes : un levier pour le changement
L’intégration des femmes dans l’économie formelle est un facteur clé pour surmonter les défis posés par la dette en Afrique. Les femmes sont une force majeure dans des secteurs vitaux comme l’agriculture, où 80 % des activités sont menées par de petits exploitants, dont une majorité sont des femmes. Promouvoir l’égalité des sexes dans ces secteurs pourrait non seulement améliorer la productivité mais aussi renforcer la résilience économique face aux crises de la dette. Par ailleurs, la participation active des femmes à la prise de décision économique et politique est également cruciale. Malgré leurs compétences prouvées en tant que leaders et agents de changement, les femmes continuent d’être sous-représentées dans les instances décisionnelles, avec moins de 50 % des sièges parlementaires occupés par des femmes en Afrique, et seulement 23,3 % des ministres étant des femmes. Cette sous-représentation limite la capacité des gouvernements à élaborer des politiques qui promeuvent véritablement la justice sociale et une croissance inclusive. Et pour répondre efficacement à la crise de la dette, les pays africains doivent adopter des politiques qui favorisent un développement social inclusif et des investissements publics orientés vers les Objectifs de Développement Durable (ODD). Le financement de ces initiatives nécessitera des ressources considérables. Selon les estimations, l’Afrique a besoin d’au moins 800 milliards de dollars supplémentaires par an pour atteindre les ODD, illustrant l’ampleur du défi.
Il est impératif donc de reconnaître le rôle transformateur que les femmes peuvent jouer dans ce contexte. Les politiques économiques doivent être repensées pour inclure les femmes à tous les niveaux, de la base à la haute direction, en veillant à ce que leurs perspectives et besoins spécifiques soient pris en compte. L’engagement pour l’égalité des sexes doit être aussi au cœur de toutes les stratégies de développement, permettant ainsi de libérer le potentiel économique des femmes et de renforcer la résilience des communautés face aux crises financières. Face à cette situation, une approche holistique pour aborder la crise de la dette en Afrique s’impose. Et our garantir un avenir durable et équitable, il est essentiel de reconnaître et de valoriser le rôle central des femmes dans l’économie. En intégrant pleinement les femmes dans les processus économiques et politiques, l’Afrique peut non seulement surmonter les défis actuels de la dette, mais aussi ouvrir la voie à une prospérité partagée et à une justice sociale renforcée. L’avenir de l’Afrique repose sur sa capacité à construire des sociétés inclusives où chacun, indépendamment de son genre, a la possibilité de contribuer à la croissance et au développement du continent.